PARCE QUE très souvent, ils ont appris qu'il y avait une bonne manière de faire les choses, de vivre, de manifester sa vérité. Parce qu'ils ont appris à ne pas voir ce qui est, mais plutôt ce qu'ils croient qu'ils doivent voir. Dans les années 70, une psychothérapeute très connue, pionnière de la thérapie de famille, avait résumé magistralement cette situation en postulant 5 libertés que l'être humain devait apprendre à se donner pour vivre pleinement.
Pour Virgnie Satir, la première des libertés consiste à "voir et entendre ce qui est, au lieu de ce qui devrait être, avoir été ou se produire".
Accepter ce qui est, c'est pouvoir faire abstraction, temporairement, de tout ce qu'on nous a dit à propos de cette réalité, c'est être capable d'entrer en contact avec elle avec le minimum de filtres et de programmations mentales.
Voir et entendre ce qui est, cela parait si simple et pourtant notre interprétation fait obstruction : nous voyons en fonction de ce que nous croyons que nous devrions voir, nous entendons en fonction de ce que nous croyons que nous devrions entendre.
Une mère de famille, dont le fils de 22 ans présentait de gros troubles psychologiques, avait accepté, pendant quatre ans, de voir ce fils quitter ses études, rompre avec son amie, dormir de longues heures durant la journée, se renfermer sur lui-même et, pour finir, ne plus quitter sa chambre, avant de chercher de l'aide pour ce jeune homme.
Lorsque des amies ou membres de la famille s'inquiétaient du sort de ce garçon, la mère soulignait à quel point il avait été fatigué lors de la préparation de son baccalauréat et qu'il était normal qu'il se repose et prenne un peu de temps pour décider de son avenir.
Cette femme ne voulait pas voir la réalité, elle ne pouvait pas entendre les remarques de ses proches. Elle voyait son fils comme un étudiant fatigué, parce que c'était cette image-là qui lui convenait. Les observations de l'entourage lui semblaient autant de remarques malveillantes qu'elle ne recevait pas.
Voir et entendre ce qui est ! " Je ne suis pas alcoolique ! Je bois un peu le soir après le travail pour me détendre ", explique le père de famille qui ingurgite une bouteille de whisky en deux jours.
Il n'y a pas de solutions possible lorsqu'on ne peut pas accepter ce qui est, lorsqu'on ne se permet pas de voir et d'entendre ce qui est.
La deuxième liberté est " oser dire ce que nous ressentons et pensons, au lieu de ce que nous croyons que nous devrions ressentir et penser".
Tant de gens n'ont pas cette liberté personnelle.
Ainsi, ce qu'ils disent n'est pas ce qui est, ce n'est pas ce qu'ils ressentent et pensent vraiment, mais ce que leurs programmations mentales leur font croire qu'il serait adéquat de ressentir et de penser.
Que ce soit dans la famille, le couple, la vie professionnelle ou les relations amicales, tant d'êtres humains ont appris à ne dire que ce qui leur semble convenir à la situation et aux personnes avec lesquelles ils se trouvent !
Cela commence dans l'éducation lorsque les parents ne sont pas aptes à écouter ni à dialoguer ou lorsqu'ils se mettent en colère si l'enfant dit sincèrement ce qu'il pense ou ressent au lieu d'entendre, de recevoir le message et d'apprendre à l'enfant à s'exprimer avec bienveillance.
Puis, cela continue dans la vie familiale et sociale, tout particulièrement dans les couples où l'un des partenaires prend le pouvoir, en instaurant une sorte de terrorisme émotionnel, "obligeant" l'autre à filtrer tout ce qu'il dit et souvent à exprimer autre chose que ce qu'il pense et ressent.
" - Quel temps fait-il ?
- Le temps que Monsieur voudra !"
Cette situation est beaucoup plus fréquente qu'on ne l'imagine !
La troisième liberté consiste à se permettre de ressentir ce que l'on ressent, plutôt que ce qu'on croit qu'on devrait ressentir. Lorsque dans un couple, par exemple, l'amour a disparu, que l'un des conjoints ne ressent plus d'amour pour l'autre, il arrive qu'il se persuade qu'il doit ressentir de l'amour et qu'il ne se permette pas d'être vraiment en contact avec ce qu'il ressent, créant ainsi une relation et un discours faussés l'empêchant de considérer ce qui est et, peut-être, de l'accepter pour pouvoir construire autre chose.
La quatrième liberté est celle de demander clairement ce que nous voulons au lieu d'attendre qu'on nous donne une hypothétique possibilité de le faire.
A cause de leur éducation, de leurs croyances, nombreux sont ceux qui vivent dans une illusion douloureuse, croyant à tort, que cette illusion est la réalité. Ils n'ont pas ce qu'ils désirent, ils vivent mal parce qu'ils s'interdisent de faire part de leurs besoins et de leurs désirs.
Finalement, la cinquième liberté consiste à prendre des risques en son propre nom, au lieu de ne rechercher que la sécurité et l'immobilisme.
Selon leurs capacités de voir la réalité et de l'accepter, les humains vont se donner le droit d'entreprendre, d'agir, de prendre des risques calculés ou, au contraire, ils vont vivre confinés et amputés de toute ambition.
Ainsi, développer la capacité d'être réellement en contact avec la réalité, d'être dans le moment présent, permet, peu à peu d'accepter ce qui est, pour décider ensuite du chemin à prendre.
Se priver des cinq libertés indiquées ci-dessus, c'est vivre dans un monde imaginaire et douloureux, c'est se sentir enfermé dans un certain nombre de mythes ou croyances erronés si répandus qu'on les prend pour des vérités absolues, c'est avoir des attentes exigeantes et, la plupart du temps, déçues, concernant la vie quotidienne, les autres et soi-même.
Le philosophe québécois Placide Gaboury, dans son ouvrage La fidélité à soi, écrit :
" Nous voulons toujours autre chose que ce qui est. Nous persistons à croire que le sens de la vie, comme le bonheur, est ailleurs, dans quelque chose que l'on cherche aveuglément. A cause de cela, tout apparaît un non-sens... Le sens se trouve dans la situation actuelle, que l'on rejette, refuse et fuit."
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